dimanche 31 mars 2024

Théophane (nouvelle)

Théophane

Nouvelle


Je n’ai pas vraiment souhaité ce qui s’est passé.

Enfin… si, je l’ai souhaité.

Mais pas « souhaité, souhaité ». Pas à ce point-là.

Appelle ça un pétage de câble, un moment d’égarement, comme tu voudras. Pour ce que ça changerait, de toutes façons…


Bref.


C’est arrivé comme ça, comme n’importe quelle idée qui apparaît, pouf dans ta tête, ni rationnelle, ni désirée. Seulement là, sortie du néant, et prête à y retourner si ça n’avait tenu qu’à moi.

Remarque que, maintenant, je sais que ça ne tient qu’à moi. A ce moment-là, je l’ignorais… les voies de Dieu sont impénétrables, non ? Ha ha…

J’en étais où ? Ah oui .


Donc j’en étais à finir ma deuxième tartine, assis tranquillos à la table du petit dèj.

Le chat était sous ma chaise, je lui grattais vaguement le dos sans y penser tout en faisant tremper mon dernier morceau de tartine dans mon mug de thé.

Et là, BZZZ ! Le portable sur la table qui s’énerve d’un coup. La vibration a fait peur au chat, qui s’est barré subitement. J’en ai lâché mon morceau de pain, tellement ça m’a surpris.

Il faut dire que, normalement, à cette heure-là, jamais les notifications ne passent. J’ai activé le mode silence programmé, tu vois.

Et là, le gros buzz. Pas normal.


Je retourne le téléphone, et là je vois le SMS du chef, qui se fout de ma gueule comme toujours, ce gros con. Enfin, je devrais pas dire ça, il est mort, depuis. Mais il se foutait quand même toujours de ma gueule.

Et le message dit : « Alors, l’as des as, t’as encore oublié de mettre de l’essence dans ton réveil ? Qu’est-ce que tu fous ? Le bull va pas se conduire tout seul ! Ramène tes miches ou ça va mal aller pour toi ».

Là j’ai compris : c’était le jour de l’heure d’hiver. J’avais pas reprogrammé la bonne heure sur le radio-réveil. Le smartphone se règle tout seul, lui. Enfin, j'étais à la bourre d'une heure.


Bref.


C’est à ce moment-là que ça a commencé. C’est là que j’ai pensé, très clairement : « non mais qu’il crève la gueule ouverte, ce blaireau ! ». Voilà, je le reconnais, je l’ai pensé.

Faut me comprendre : j’avais pas super bien dormi, le chantier s’éternisait depuis des semaines à bosser dans la glaise, le chef m’avait pété les couilles parce que le bulldozer était tombé en panne sèche, mais c’était lui qui l’avait fait siphonner pour biberonner la pelleteuse en attendant que la citerne arrive – et d’ailleurs elle n’est jamais arrivée, vu l’état des routes et la grève des camionneurs…


Bref.


L’idée m’est venue comme ça, et puis elle est repartie.

J’ai pêché mon bout de tartine en lambeaux du bout de la cuillère, j’ai fini mon petit dèj rapidos et j’ai pris les clefs de la Polo sans aller me laver les dents.

Vingt minutes après j’étais sur le chantier, et c’est là que les gars m’ont appris que le chef venait de mourir.

C’était l’architecte qui l’avait trouvé là, affalé en arrière sur sa chaise devant les derniers plans, de la gadoue plein les bottes vu que ce gros con ne les enlevait jamais avant d’entrer dans le bureau, et tous les jours il y avait un arpète qui devait se taper le nettoyage de ses empreintes… gros con, tiens.


Bref.


L’architecte n’était pas formée aux premiers secours, mais elle a fait de son mieux. Quand les pompiers sont arrivés, ils l’ont félicitée. Elle était dans tous ses états, pauvre fille, elle lui avait fait la stimulation cardiaque, la ventilation artificielle, fait appeler les secours évidemment, mais rien. Raide mort, comme ça.

Il était encore chaud, ça venait d’arriver.


Quand j’ai vu l’attroupement après m’être garé, je suis allé voir et les gars m’ont expliqué. Nouria était sur les nerfs, c’est elle qui avait appelé les pompiers, mais comme le chantier était pas mal enclavé, elle avait dû courir dans la bouillasse pour trouver du signal réseau et les joindre. Elle était persuadée que si elle avait couru plus vite, ça aurait changé quelque chose.

Mais non. Le chef était mort, là par terre, étalé torse poil sur les dalles de moquette grise pleines de tâches de café et de boue, avec ses grosses bottes crades et sa sale gueule grande ouverte.


Au bout d’une heure environ, les pompiers sont repartis, les gendarmes aussi auprès avoir pris des dépositions, des photos de l’endroit et récupéré les images des caméras de sécu, et une ambulance a embarqué le corps.

On ne savait pas trop s’il y aurait une enquête, tu vois, alors on a verrouillé l’algeco après avoir récupéré la cafetière et un peu de paperasse, puis on a établi le bureau dans le bâtiment C, au 1er étage, vu que la construction ne serait pas trop gênée. On y a bouché les ouvertures de fenêtres avec du plastique, double couche pour pas cailler, et on a fait un genre de rideau aussi pour stopper les courants d’air dans la cage d’escalier. On a rebranché la cafetière et l’imprimante pour les plans.


Bref.


Plus de chef. Mais le bull n’allait pas se conduire tout seul.

Alors j’ai repris le taff. On a tous repris le taff.

Depuis, il y a une nouvelle cheffe. Pas mal. Elle gueule, mais au moins elle ne nous prend pas pour des cons, elle.



La fois suivante, c’était le jeudi 23, quand le petit Kader a payé son coup pour fêter ses fiançailles. On a fait ça au relais de presse, là où ils ont mis un bar à l’arrière.

La journée n’avait pas été trop pourrie, pas de panne, pas de casse, pas d’accident, juste assez de soleil pour réchauffer mais pas assez pour cuire dans la cabine des engins. Bien, quoi.


Comme je ne suis pas un crevard, j’ai payé ma tournée à l’équipe, je suis quand même un des mieux payés. Et en allant régler, j’ai eu envie de me payer un Dédé. Tu sais, le truc à gratter, avec le cochon et tout.

Je sais bien que c’est de l’arnaque, mais j’étais de bonne humeur, je pouvais bien me payer ça, et puis la paye allait tomber bientôt de toutes façons.

C’était l’associée de Christopher qui tenait la caisse. Je connais pas son prénom.

Elle pris le ticket au bout de la bobine et elle me l’a tendu.


A ce moment-là j’ai pensé bien fort et bien clair : « Tiens, si pour une fois je pouvais gagner 500 ou 1000 balles, ça ferait du bien par où ça passe. ». Et comme d’habitude, j’ai gratté la moitié du ticket et je l’ai mis dans ma poche pour le finir à la maison.

On a bu notre coup, on a trinqué à la santé de Kader et Sabrina – c’est sa fiancée, Sabrina – avec pas trop de blagues de cul dégueulasses, parce que bon je veux bien qu'on déconne mais faut croire, on sait se tenir. Puis on est tous repartis, chacun chez soi.


Le soir, je me suis bricolé une petite lasagne avec ce que j’avais au frigo. J’ai mis la télé, mais il n’y avait que des pubs de merde ou cette grosse merde d’Hanouna, du coup je me suis mis un épisode de The Expanse que la voisine du dessous m’a mis sur un disque dur.

Et là j’ai fini de gratter mon ticket de jeu.


Quand j’ai vu que j’avais gagné 2 500 balles, j’ai bloqué.

Je savais que j’en aurais fastoche pour 800 pour l’entretien de la bagnole si je voulais me faire les Pyrénées cet été, et qu’au lieu d’une pauvre tente je voulais me prendre un bungalow mais bon, vu les tarifs et vu mon salaire, ça voulait dire pâtes et patates pendant toutes les vacances.

Et là : 2500. D’un coup. Première fois de ma vie. Pas croyable, le truc.


J’avais toujours pas réalisé, à ce moment.


Mais il y a eu quelques autres trucs bizarres. Enfin… bizarres, façon de parler. Inhabituels, en vrai.


Il y a eu l’histoire avec les joints de vérins du bull, qui me sciaient les oreilles à couiner depuis des semaines et qui s’étaient arrêtés de grincer subitement.

Je savais qu’à la maintenance, il allait falloir les changer, peut être même remplacer les vérins entiers, parce qu’un joint qui couine, c’est un vérin qui crève.

Et puis non, le technicien m’a dit qu’ils étaient comme neufs, et que c’était pas la peine de les changer, même qu’il m’a demandé si j’étais sûr que c’était bien sur ce bull-là que ça couinait. Genre, l’autre... je sais bien qu'il ne faisait que son boulot, mais je sais reconnaître ma machine, quand même !


Bref.


Il y a aussi eu Patty. Enfin… je l’appelais pas encore Patty à ce moment-là.

Je l’avais déjà vue sur AdopteUnMec, il y a deux ans à peu près. Elle m’avait tapé dans l’oeil mais elle n’avait pas répondu à mes messages, même si j’avais payé le premium – et tu peux y aller, ça coûte la peau du cul le premium – pour pouvoir la contacter.

Son profil avait disparu plutôt vite. Ca m’avait travaillé, j’avoue qu’il y avait quelque chose dans ses photos, ça m’avait donné envie de plus que juste baiser, tu vois. Enfin, tu comprends ce que je veux dire, y'a des fois où tu as l'impression d'avoir un genre de connexion avec la fille. La plupart du temps, c'est des conneries, mais de temps en temps, c'est vraiment vrai, y'a un truc, le courant qui passe, même si tu lui as jamais dit un mot t'as cette impression de se connaître... Enfin t'as compris, elle m'avait marqué, et je pensais souvent à elle.

Et là, bim ! Le mardi, elle réactive son profil. J’y croyais pas. Même pseudo, même bio, juste 2 ans de plus sur l’âge, et puis deux trois photos. La même. Probable qu'elle avait dû se mettre en couple, et que ça venait de se finir. Du moins, c'est ce que j'ai imaginé. Putain qu'elle était belle, c'était incroyable. Peut être encore plus que deux ans avant.

Alors moi, direct, le mardi soir, je la contacte en priant pour qu’elle réponde, ce coup-ci.

Et mercredi matin, le message : « Salut Théo, moi c’est Patricia, ton message m’a fait plaisir. C’est quoi un conducteur de bull, t’es cowboy ou un truc dans le genre ? ». Et avec un smiley qui fait un clin d’oeil, tu sais.


Je rentre pas dans les détails, c’est pas tes oignons, mais je suis passé de célibataire à en couple en même pas deux semaines, c’était incroyable. Première fois de ma vie, ça aussi.

Et je te jure que j'ai rien changé de spécial, j'ai rien forcé. Le courant est passé tout de suite, et il est passé à fond. Un vrai miracle, j'te promets.


Et puis il y a encore eu des petits trucs. Et puis aussi, faut reconnaître, des trucs un peu plus gros.


Dans les petits trucs, c’était juste des petites choses de la vie, tu vois, rien d’énorme.

Par exemple, j’ai eu le résultat du contrôle technique de la Polo, le gars a dit que le bas de caisse était rouillé et d’après lui c’était limite pas réparable. J’ai pensé très fort que je voulais vraiment que la caisse soit nickel pour pouvoir partir avec Patty dans les Pyrénées, et que je voulais zéro défaut à la contre-visite.

Le garageot a monté la caisse sur le pont quand je lui ai amené, et il m’a appelé dans la journée pour me dire que le mec du contrôle technique devait avoir des vappes, parce que le bas de caisse était impeccable, pas un pet de rouille, et qu’il n’avait trouvé que deux ampoules à changer, à part ça tout était tip-top.


Y’a eu aussi la voisine du dessous, avec son vieux matou et sa grosseur dégueu qui lui pendait de la patte arrière. C’était une tumeur, le véto lui avait dit, et y’avait rien à faire, c’était à peu près sûr que son chat en avait encore pour un mois ou deux maxi.

Quand elle m’en a parlé, elle en chialait, elle en avait le nez qui coulait, elle qui était toujours à être bien jolie et bien mise, c’était trop triste.

Et je me souviens d’avoir pensé bien clairement : « si ce putain de cancer pouvait lui sortir du corps une bonne fois, elle mérite pas ça la voisine. ».

Et deux ou trois jours après, je revois passer le vieux matou, toujours pépère, mais avec juste un trou dans les poils là où sa tumeur pendouillait avant. C’était clair qu’il allait mieux, mais y’avait pas une trace d’opération, pas une cicatrice, rien. Comme si le cancer lui était littéralement tombé de la peau.


Là j’ai compris.

Et du coup j’ai testé des trucs un peu plus gros.

Pour voir si ça marchait.


Genre, quand il y a eu l’histoire avec la prise d’otages dans la mosquée de Sarcelles, là.

J’ai vraiment pensé très fort qu’il suffirait que le preneur d’otage ait une bonne grosse chiasse pour que ça s’arrête net.

Et tout le monde a vu ce que ça a donné, c'était en direct à la télé quand ce connard de nazi avec sa tenue de soldat à la con s'est mis à se pleir en deux d'un coup et se recroqueviller par terre, avec la merde qui lui sortait du pantalon de treillis.

J’étais mort de rire devant ma télé, Patty ne comprenait pas pourquoi, elle était tendue à mort la pauvre, et quand elle me regardait en se demandant pourquoi j'étais éclaté par terre, ça me faisait rire encore plus.


Et puis j’ai testé sur d’autres trucs.

Par exemple, j’ai pensé très fort qu’il fallait que le ministre de l’intérieur ferme sa gueule quand il était en train raconter ses conneries à propos de la meuf qu’il a obligé à le sucer pour lui trouver un appart’. Et hop, mâchoire bloquée en pleine interview ! C’était du bonheur, ce truc-là !

Rien que de voir Patty si contente et de l’entendre balancer « bien fait pour sa gueule à ce fumier », ça m’a fait un bien... Je te raconte pas la nuit qu’on a passé après, elle était à fond et j’avais l’impression d’être une putain de star. Mémorable, le truc.


Mais bon, évidemment, il faut rester discret. Le secret des voies de Dieu, c’est de rester impénétrable, sinon tu sens bien qu’il y a forcément un enfoiré qui va essayer de te coincer, qui va foutre la merde, et alors t’es obligé d’intervenir tout le temps, sans arrêt, t’as plus de vie. Et moi je veux pas ça.

Moi j’ai mon taff, j’ai Patty, j’ai pas envie de devenir Superman.


Alors bon, des fois, faut reconnaître que ça se commande pas, ça s’impose.

Et c’est pour ça que je me retrouve ici aujourd’hui. Forcément, la bagnole de flics en civil qui arrive pleine balle sans gyrophare et qui va faucher un petit vieux qui finit de traverser appuyé sur sa canne, moi j’ai pas réfléchi.

C’était peut-être son heure, au vieux, j’en sais rien. En tout cas, j’ai pensé qu’il fallait que la voiture s’arrête. Et elle s’est arrêtée. Mais pas les mecs qui étaient dedans.

Et moi, vu que ça s’est passé sous mes yeux, à deux mètres de moi, je me suis pas contenté de penser : j’ai fait comme tout le monde quand il voit arriver le danger devant lui, j’ai tendu les mains, genre, en geste de protection, tu vois.


Et je sais ce que tu as dans ton dossier, là, sur ton ordi. Même pas la peine de me montrer.

Y’a les images de la caméra de surveillance.

On me voit tendre les mains.

On voit la voiture qui se plante sur un mur invisible, et les trois mecs dedans qui planent à travers le pare-brise, avant de finir en pâtée pour chat sur le kiosque en face de la rue.

On voit le petit vieux tombé par terre qui se pisse dessus devant la voiture qui fume encore.

Et on me voit moi, en train de partir à courir comme un dingue, à flipper qu’on m’ait vu, et je fonce jusqu’à la bouche de métro où je m’arrête pour voir si je suis poursuivi, tout juste devant la deuxième caméra qui filme ma tête en gros plan et qui vous a permis de me retrouver.


J’avoue, j’ai pas réfléchi.

Mais ça, c’était avant.


Là, je vais penser plusieurs choses.

Je vais penser que cette voiture de flics a allumé son gyro et son deux-tons, et comme ça le petit vieux n’a pas traversé, et la voiture n’a pas eu besoin de s’arrêter.

Je vais penser que la vidéo surveillance n’a vu aucun accident.

Je vais penser que ni vous, ni vos supérieurs, ni les caméras de ce bâtiment, ni les caméras des alentours ne m’ont jamais vu venir ici.

Je vais penser que je n’ai jamais reçu la visite de vos collègues, qu’ils ne savent pas qui je suis, qu’il n’y a jamais eu de dossier sur moi ni sur cette affaire et que je n’apparais en aucune façon sur aucun fichier, aucun papier, aucun dossier, aucun enregistrement d’aucune sorte. Qu’il n’y aucune trace d’un quelconque événement qui me concerne.

Je vais penser que je ne suis pas ici.


Je vais penser…

Je vais penser à Patty et à mon bungalow dans les Pyrénées.


Bref.


Ca m’a fait du bien de te parler.

Allez salut.


--G4rF--

vendredi 8 janvier 2021

Poème express [235/365] - Bonne chance

Bonne chance


Nous avons pu marcher en laissant derrière nous
Ceux qui manquant de chance n'ont pu tenir le coup
Nous avons vécu là, bizarrement, de loin,
En s'éloignant des autres, désinfectant nos mains.

Nous avons vu l'échec des puissants incapables.
Nous les avons vus nus, les oublieux coupables.
Le monde a continué, nous, entre parenthèses,
Avons vécu l'année en pointillés, sans aise.

Confinés que nous fûmes, bien des choses ont cessé,
Et grâce à notre absence l'air s'est amélioré
Et puis on nous a dit "l'économie d'abord !"
En nous poussant derrière, quitte à choper la mort.

Le virus, le virus, le travail, le vaccin,
Et en voyant venir la fin de 2020,
Nous, animaux de foi, avons voulu y croire
Que c'était derrière nous. On voulait de l'espoir.

Mais les incapables sont toujours là, en place,
Coupant des libertés, agissant en rapaces,
Affutant toutes les armes pour mieux se prolonger
Et dans ce long tunnel, nous laisser enfermés.

Il y eut la drôle de guerre, voici la drôle de crise.
Vivement que l'on se soigne, et que l'on s'immunise.
Mais jamais n'oublions l'odieuse impéritie
Des communicants fats qui sévirent ici,

Qui ont nié les faits, qui n'ont pensé qu'à eux,
Qui même dans l'horreur n'ont cessé d'être odieux
Fermant les lits d'hosto en pleine pandémie
Bouclant ciné, resto, cafés et librairies

Vous les pensiez modernes ? Vous les croyiez meilleurs ?
Ce sont là, de nouveau, juste des imposteurs.
Ils vous crachent au visage toute leur suffisance,
Ils n'ont nulle tendresse, nul vœu de providence.

Ils mourront les derniers, sur leurs tas de billets,
Quand les non-essentiels auront tous crevés.
Alors pour cette année qui démarre en fanfare,
Sous le triste dais gris d'un ciel de désespoir

Je ne saurai vraiment être honnête et sincère
En disant bonne année, car oui, je n'y crois guère.
A toi, passant ici, qui viens et qui me lis,
Je souhaite bonne chance, et résistance aussi.

--G4rF--

lundi 19 octobre 2020

Poème express [234/365] - Loin

Qu'il est loin le temps doux, le temps des lourds cartables
Et du chemin pesant sous les frondaisons vertes
Le temps où le présent s'étirait en ruban
En un long chewing-gum au parfum rose bonbon
Le temps de l'ennui jeune, des amis de fortune,
De ces âmes esseulées entassées aux mêmes lieux
Qui passaient le temps comme on se passe la balle
En attendant demain, demain loin lui aussi.
Qu'il est loin ce temps lourd, pénible, interminable
Celui de l'attente et des espoirs germés
Celui du mal à l'âme et des baisers volés
Qui s'accrochent au cœur comme des griffes, des lames,
Les réveils d'hiver à la lumière blafarde
Les parcours frissonnants, les lampadaires ronds,
La fenêtre allumée d'un ami, au passage,
La longue, longue route, sans nul compagnon.
Qu'il est loin le temps triste de grande solitude
Qui me saignait à blanc, qu'aujourd'hui je comprends.
Qu'il est loin le temps simple, le temps sans inquiétude,
Que je regrette, adulte,
Que je regrette tant.

--G4rF--

vendredi 16 octobre 2020

Quasi Arthur (nouvelle)


Quasi Arthur (nouvelle)

Les fibres de la toile étaient chargées d'oxyde métallique, si alourdies et raidies de vieille crasse que le chiffon aurait sans doute pu être mis à tenir debout, sans choir.
Eowen cracha une énième fois sur la coudière du maître et fit de nouveau aller et venir le tissu sur le métal, en un geste mécanique répété des milliers de fois.

La pièce d'armure ne brillait pas beaucoup, mais ce n'était pas grave.
Eowen savait que le maître n'en avait cure.

La vaste salle était aujourd'hui très tranquille et la chaleur dégagée par le feu ronflant dans l'immense cheminée était bien contenue par les lambris ouvragés habillant les murs.
Pendant du plafond à intervalles réguliers, les bannières écarlates et brodées au fil d'or portant les armoiries du maître égayaient quelque peu le plafond obscurci parfois totalement par le noir de fumée. Cela donnait un air de grandeur. Comme un parfum de majesté, mais pas écrasante. Juste… impressionnante.

Eowen aimait bien cette pièce. Il appréciait cette chaleur profonde, et l'ouvrage sans véritable but auquel il était occupé, et la présence amicale et pour tout dire fraternelle du maître, là, à ses côtés.

Assis à même le sol, sur la plus haute marche de l'estrade monumentale, à la place qui convenait à son rang d'après l'étiquette de la cour, il était donc occupé à astiquer sans talent, pièce après pièce, l'armure d'apparat du maître, qu'il reconstituerait ensuite patiemment sur le solide support de bois, près du siège royal.

Le maître était assis juste à côté de lui, par terre comme lui --à un coussin près--, délaissant le trône ouvragé et chargé de dorures où, d'après ses propres paroles, il fallait avoir le cul d'un cadavre pour espérer trouver du confort.
Tenant dans sa main un gobelet de vin doux, et dans l'autre, une de ces multiples feuilles de fin parchemin qu'il répandait partout où il se rendait dans la place-forte, il lisait ce qui devait être le rapport de l'ambassadeur royal en terre d'Eire.

Eowen ne savait pas lire, mais il reconnaissait le papier encore humide sur les bords, qu'il avait malencontreusement fait tomber dans la neige ce matin en apportant au maître les dernières missives.
Entre eux deux, également posé sans ambage sur le sol, un joli plateau de chêne clair ciré se vidait petit à petit de son contenu comestible, au fur et à mesure que le maître lisait son courrier.

Il prit d'une main distraite une tartine de graisse d'oie garnie d'une tranche de fromage, et l'engloutit avant de se ressaisir de son gobelet de vin.
"Rhâ… mais que vont encore inventer ces tarés d'irlandais ! grommela-t-il entre deux gorgées.
- Un problème, maître ?"

Le maître se tourna vers lui et le regarda en silence pendant un long instant.
D'autres auraient été effrayés par le poids du regard de l'illustre souverain, mais Eowen savait que le maître était simplement en train de réfléchir à la façon d'expliquer ce qui le tracassait.

"Tu sais, Eowen, reprit-il enfin, que nous nous rapprochons de l'anniversaire.
- Oui.
- Et tu sais ce qui advient, tous les ans, lors de l'anniversaire ?
- Ils recommencent à vous les bri… à contester votre autorité, maître ?
- Précisément. Tous les ans. Sans discontinuer. Depuis huit ans maintenant ! Huit ans, putain !" s'exclama-t-il vivement.

Il vida son gobelet et le posa sans douceur sur le plateau.

Renversant sa tête en un long mouvement empreint de fatigue, les yeux fixés vers le plafond tâché de suie, il semblait prêt à se laisser aller à une de ces rares confidences auxquelles bien des courtisans rêvaient d'être associés et qui, pour une raison connue de lui seul, allait encore une fois être uniquement partagée avec son page.
Eowen le page, le plus mauvais nettoyeur d'armure du royaume de Bretagne.
Eowen le page, dont le maître semblait s'être entiché et ne pas vouloir se séparer, probablement parce qu'il avait le rare talent de savoir écouter, vraiment écouter.

"S'ils ne veulent point vous maintenir leur allégeance, ne pourriez-vous les confronter, maître ? Vous avez l'épée, après tout.
Le maître soupira.
- Ce n'est pas si simple. En fait… en fait, ce n'est jamais simple.
Vois-tu, j'ai grandi avec au fond de ma tête les histoires et les légendes que tu as entendues toi aussi quand tu étais enfant.
La destinée… l'épée sacrée réservée au seul souverain vraiment digne de la porter… toutes ces fadaises, entendues de tous, à dire vrai. Et moi aussi j'ai cru à toutes ces fariboles.
J'ai cru, dur comme fer, à l'histoire d'Arthur l'écuyer tirant l'épée de la roche.
J'ai cru à l'épée retournée ensuite dans sa prison de pierre lorsqu'Arthur rejoint Avalon pour la dernière fois."

Il se leva et étira ses membres, puis s'approcha du trône.
Il glissa alors la main derrière le bras du fauteuil ornementé et la ressortit, levant devant ses yeux l'épée sacrée : Excalibur, l'épée du Roi, plus lourde par ses symboles que par le métal dont elle était faite.

"Excalibur, dit-il avec dans sa voix un léger tremblement. Oui, j'y ai cru. Peut-être plus fort que tous les autres.
- Elle est tout de même impressionnante, maître, intervint Eowen.
- Pour ceux qui ne connaissent pas son secret, oui, sans doute", acheva le maître avec un sourire narquois.

Usant de l'épée légendaire comme d'une pique, d'un geste adroit et vif, le maître la darda vers une lanière de viande séchée posée au bord du plateau de victuailles, et l'envoya tourner en l'air d'un coup sec du poignet, espérant la gober en plein vol.
En fin de course, la viande heurta sa barbe soigneusement peignée par une servante le matin même, rebondit sur le plat d'une de ses incisives et termina sa course piteusement, avachie par le milieu, sur le col de la chemise du souverain.

"Merde !" s'exclama le maître en repêchant sa nourriture avec deux doigts, puis en plantant l'épée dans le bois de l'estrade tandis qu'il entreprenait de mastiquer l'objet de sa convoitise. "J'y étais presque, ce coup-ci…"
Eowen relança la discussion, négligeant l'incident alimentaire :
"Ne m'avez-vous point enseigné que la légende d'Arthur était le ciment qui liait nos peuples et nous préservait de la guerre ?
- Si, si, cela est vrai. Et cela doit rester vrai si nous voulons éviter de voir de nouveau des chefs de clan abrutis par la soif de pouvoir se flanquer des peignées dans les champs, entre deux rangées de courges.
Mais ce qui pose problème, c'est que cette légende est une belle histoire, fabriquée pour asseoir le pouvoir de celui qui détient l'épée. Chacun le sait : en m'emparant d'Excalibur à la suite d'Arthur, j'ai réussi à m'emparer du pouvoir. Mais contrairement à Arthur, lorsque j'ai finalement réussi à m'emparer de l'épée, tout le monde m'a vu faire. Et la légende… hé bien…
- La légende en a souffert, maître ?
- Précisément, Eowen."

Après un instance de silence, le jeune page prit à son tour une tartine sur le plateau de victuailles.
Il sentait que le maître avait besoin de poursuivre, d'aller au bout de son propos, et il savait qu'avant de le faire, le maître allait lui dire de se nourrir. Il l'avait toujours trouvé d'une maigreur maladive, et voir Eowen se nourrir le réconfortait.
Le page vit la satisfaction dans le regard du maître tandis qu'il mordait à belles dents dans la tranche de pain goûteuse.
"Mais maître, reprit le page après avoir dégluti, c'est tout de même votre épée !
- Oh oui. C'est mon épée, pour sûr. Et parce que j'ai l'épée, j'ai le pouvoir. Non, ce qui les dérange, mon cher Eowen, ce n'est point que je sois entré en possession de l'épée."

La démarche pesante, le maître descendit la volée de marches et s'approcha d'un curieux piédestal posté derrière une large colonne, sur lequel était posé un lourd marteau, brut et massif, aux faces déformées par l'usage et la force des coups infligés.
Sur le manche, dans la lumière jaune des lanternes de fer, il pouvait encore voir la couleur du sang, coulant des plaies créées en abattant la lourde masse de métal, encore, et encore, et encore.

Dans un murmure résigné et empreint d'une grande lassitude, ne quittant pas le marteau des yeux, le maître reprit à l'attention du page : 
"Ce qui les dérange, mon fidèle Eowen… Ce qui les fait enrager, ce qui les ulcère…
C'est que j'ai été le seul parmi eux à ne point tenter de tirer l'épée hors de l'emprise de la roche.
C'est que j'ai été le seul à penser à ôter à la roche son emprise sur l'épée".

--G4rF--

lundi 28 septembre 2020

Poème express [232/365] - Ronronne

Allongé bien au chaud dans son terrier noirci

Croquant à petit feu son repas favori
Il se lèche les babines et tranquillement couve
Des braises de ses yeux sourd un éclat rougi

Enroulé sur lui-même dans un bain de chaleur
Où des fumeroles grises ondulent dans la torpeur
Il pose tel un roi dans un tableau parfait
De gris cendré, de rouge, d'irradiantes couleurs

Comme un maître au foyer, sur son trône alangui,
Il lèche de sa langue quelque morceau choisi
Qui bientôt rejoindra la suite du festin
Du félin encagé qui parfois y gémit

Et parfois y crépite, y crache ou y ronronne,
Dardant des yeux ardents sur ceux qui l'environnent,
Consommant, consumant, d'un appétit sans fin,
Ne laissant derrière lui que la suie, le carbone.

--G4rF--

Poème express [231/365] - Le hoquet

J'ai été pris d'une secousse,
Un spasme fort, inattendu,
Qui m'a remué tant et plus
Que j'en perdis toute ressource

J'ai subi l'onde tellurique
Qui m'a parcouru tout soudain
Et m'a fait remettre à demain
Tous mes "en retard", mes "critique"

Séance tenante il a fallu
Que de lui seul je m'occupasse
Concentré sur l'unique menace
Qui s'imposait sur mon vécu

Car rien d'autre n'était possible
Que mettre en pause les choses à faire
Et faire en sorte que l'entrée d'air
Redevienne calme et paisible.

Alors vint l'idée bienvenue
Qu'il fallait sans doute vivre ainsi,
Être prêt à être surpris,
Comme par ce hoquet incongru,

Et savoir alors tout stopper,
Tout ce qu'on fait quand une urgence
S'impose à nous et mène la danse
Jusqu'à nous envoyer valser

Qu'il nous revient d'être attentif
Aux secousses de notre monde
D'en reconnaître les grandes ondes
Et les tremblements décisifs

Sans se laisser en détourner
Par quelque miroir aux alouettes
Qui retienne nos yeux et nos têtes
Au moment de les affronter.

--G4rF--

lundi 20 juillet 2020

Poème express [230/365] - Pourquoi pas nous ?

Pourquoi pas nous
S'ils sont tous mauvais comme des teignes
Inaptes, irresponsables ou cons
S'ils gâchent tout, méritent des beignes
Et nous manipulent comme des pions,

S'ils ne savent bien que nous mentir
Pour se prolonger au pouvoir,
S'ils sont des valets de l'empire
Du tout-commerce, du rien-savoir,

Si leurs phrases brillent comme des soleils
Mais sont creuses comme leurs cœurs séchés,
Si leur marketing émerveille
Mais nous vend un futur cassé,

S'ils sont consanguins dans leurs actes,
Dans leurs pensées et dans leurs banques,
Dans leurs interviews et leurs tracts,
Dans les palais où ils se planquent,

S'ils se foutent du tiers comme du quart,
S'ils ne sont là que pour "la win",
S'ils ont des cadavres au placard
S'ils nous veulent sages et à l'usine,

S'ils nous interdisent de sortir,
S'ils nous gazent et nous tapent dessus,
Nous font comparaître et traduire
Quand on sort marcher dans la rue,

S'ils sont debout sur la pédale
Et nous emmènent droit dans le mur
Qu'au climat ils ne pigent que dalle
Qu'ils ont soldé notre futur,

S'ils ignorent ce qu'est le travail,
S'ils ignorent ce qu'est la faim,
S'ils se tiennent cloîtrés au sérail
D'où ils nous toisent, fiers et hautains,

S'ils sont la cause de nos problèmes
Et que nous sommes la solution,
S'ils sont l'ivraie, la mauvaise graine,
Et nous le germe d'une nation

S'ils peuvent toujours faire encore pire,
Que risquons-nous à les virer
Pour mettre fin à leur délire,
Pour enfin tous les dégager ?

Pourquoi pas nous ?

Pourquoi pas nous ?

Pourquoi
Pas
Nous ?

--G4rF--

lundi 6 juillet 2020

Un meurtre au chocolat (nouvelle)

Un meurtre au chocolat - Nouvelle
©2020 G4rF


"- Et avec ceci ?
- Ce sera tout."
Tentant de maintenir un semblant de discipline en retenant par la main le petit garçon à la bouche collée sur la vitrine, la cliente parvint à extirper de sa main libre une carte de paiement qu'elle agita prestement sur le lecteur.
Un bip et un ticket plus tard, elle sortit de la boulangerie, remorquant le gamin aux lèvres tâchées de chocolat, un sac en tissu écru passé sur l'épaule duquel dépassait une baguette marquant la cadence de ses pas décidés.

"- Bonjour monsieur Champau, qu'est-ce qu'il vous fallait ?
- Bonjour. Il vous reste des homicides ?
- Attendez que je regarde... Il m'en reste trois. Combien il en fallait ?
- Ah mince, seulement trois ? On est quatre, ce soir. Qu'est-ce que vous auriez d'autre dans le même genre ?"
C'était un monsieur plutôt âgé, qui sentait fort l'eau de Cologne et dont l'haleine chargée de menthe poivrée trahissait un usage récent de bain de bouche extra fort. Un peu trop vieux pour être séduisant, mais au moins il prenait soin de sa personne et ne laissait derrière lui rien de plus désagréable que cet étrange mélange de sent-bon et d'haleine-fraîche. Un habitué. Un bon habitué.
"- Hé bien si vous repassez dans une heure, j'aurai d'autres pâtisseries pour vous. Vous avez déjà goûté le guet-apens, je crois ?
- Ah oui, je connais bien ! Vous pouvez m'en mettre quatre de côté ?
- Aucun souci, monsieur Champau. Je le note pour mes collègues, à tout hasard... voilà, quatre guet-apens pour monsieur Champau.
- Merci bien. A tout à l'heure mademoiselle !"

L'heure du goûter vint, suivi de la sonnerie de la cloche de l'école primaire.
Peu après, quelques mamans vinrent s'aligner à la queue-leu-leu devant la boutique, comme à la parade, une main peignant distraitement les cheveux de leur enfant fraîchement sorti de classe, chacune attendant son tour, chacune escortée de son petit valet de pied portant cartable.
L'image la fit sourire.

La vitrine se vida encore un peu plus. L'après-midi était bonne : une dizaine de pendus, six boîtes de noyés, des grenades de toutes les couleurs fourrées à la crème pâtissière, et comme toujours, les meurtres au chocolat et les balles perdues au caramel s'évaporaient aussitôt que les apportaient les mitrons sortant du laboratoire dans un nuage de farine et d'odeur de biscuit.

Monsieur Champau revint et repartit avec une baguette paysanne, sa boîte de quatre guet-apens au chocolat blanc et un petit sachet de poisons en gélule pour ses petits-enfants.

L'horloge marqua 17h30, le moment de servir le dernier client avant de saluer les filles et d'aller se laver les mains.
Elle ôta et jeta le tablier enfariné dans la panière à linge, déchaussa les sabots de plastique de service et sortir de son casier sa "tenue civile", sa tête déjà occupée par ses préparatifs pour le week-end prolongé de trois jours qui s'annonçait très agréable.

En sortant, elle claqua vigoureusement la porte de service qui fermait toujours aussi mal et, repassant devant la boulangerie après être sortie de l'allée de service, fit un geste rapide à Désirée qui avait pris sa place derrière la caisse.
Occupée à garnir une boîte de grande taille avec un assortiment d'assassinats en pâte feuilletée, Désirée ne la vit pas, mais ce n'était pas grave.

Elle rajusta la position de son pied droit dans sa bottine noire, contourna une demi-palette à demi démantelée emplie jusqu'à hauteur de hanche de cagettes de fruits et légumes, se glissa sous le poteau bosselé supportant le panonceau indiquant la mairie et la poste, puis pris à gauche par la ruelle, laissant derrière elle la rue Morgue.

--G4rF--

lundi 16 décembre 2019

Poème express [229/365] - En deuspi

En deuspi
J'abhorre les jargons, les langages obscurs,
Les savoirs confinés par des mots réservés
La tendance au Babel qui à ce jour perdure
Compliquant le travail pour qui veut s'éduquer

Derrière toutes les sciences le jargon s'abrite
Et crée sa sous-culture élitiste et choisie
Suffisante et pédante, fausse et hypocrite
Au codex chargé de morgue et de mépris

Et pourtant je chéris quelques mots de naguère
Et leurs contreparties des temps les plus récents
Nullement prétentieux, ces argots populaires
Font la nique aux cryptolangages des savants

En jactant l'argomuche, en causant en loucedé
On rend inaccessible aux oreilles altières
Les secrets bien banals de ceux qui vivent à terre
En leur tendant le miroir de l'opacité

J'affectionne ces mots, ce dictionnaire d'en bas,
Qu'on apprend à l'école quand on n'écoute pas,
Des locutions apprises en scred et en deuspi
L'argot est le langage des humbles et des petits
--G4rF--